An Interview with Roland Galarneau, c.1987

Roland Galarneau Interview, c.1987

 

 

An interview with Roland Galarneau, c.1987, alongside Adrien Filiatreault, his friend of 43 years  who is also present. Galarneau gave this interview shortly after his retirement in which he describes his technical inventions, particularly the braille printer he designed. In the process, Galarneau also provides details about his life, education and some of the social barriers he faced. Please find a full transcription of this interview below. You can also access the transcription through the Items menu, listed to the left of the screen.

Entrevue avec Roland Galarneau, avec Adrien Filiatreault;  c.1987

Musée Des Sciences et de la Technologie du Canada, Collections, Ottawa ON

Intervieweur : Si vous pouvez décrire, pour commencer, en termes plus généraux, le but de votre invention. Qu’est-ce que c’est exactement, quelles en sont les parties importantes, le fonctionnement – juste en termes généraux – et, à la fin, l’importance que vous donnez à cette invention.

Roland Galarneau : Je vais commencer par vous dire quand et pourquoi ça a commencé.

Intervieweur : Oui.

Roland Galarneau : En réalité, ça a commencé entre 1960 et 1961. Quand j’ai commencé à faire ça, il n’était pas question de bâtir des ordinateurs. C’était tout simplement, si vous voulez, prendre du métal et faire un clavier, comme un clavier de dactylo, pour envoyer les données avec des relais, que je bâtissais moi-même, sur une dactylo manuelle de braille. C’était tout. Une personne voyante aurait pu écrire, puis, ça s’écrirait en braille, lettre pour lettre. Je l’ai fait. Quelqu’un m’a dit : « oui, mais, pourquoi? Vous n’avez pas les abréviations. » Les abréviations en braille, c’est compliqué, hein? J’ai dit : « Écoutez, on va attendre, je vais y penser. » Trois ou quatre jours après, j’ai dit : « Oui, on est capable, mais c’est long. » C’est une affaire qui va peser peut-être bien 1 500 ou 2 000 livres, parce qu’il y a des centaines et des centaines de relais. Remarquez que, je n’avais pas de relais particuliers en tête. Il a fallu que je pense aux relais. En 1962, je bâtissais mes relais moi-même. J’ai eu beaucoup de difficultés parce que les contacts que je pouvais faire étaient des contacts avec du shim brass; c’était un cuivre très mince que je pliais. Mais, quand je mettais le contact là-dessus, je le rouillais. Donc, j’ai arrêté de penser à ça jusqu’en 1965, parce que ça ne marchait pas. J’ai rencontré quelqu’un qui travaillait à la Northern Telecom. Il m’a dit : « Nous avons les relais. » Il m’a apporté trois différents types de relais. Quand j’ai vu ça – il me l’a expliqué – j’ai dit : « Écoutez, c’est exactement ce dont j’ai besoin pour bâtir mon ordinateur. » En fin de compte, il faut penser qu’en 1961, 1962, 1963, la programmation – aujourd’hui, j’appelle ça de la programmation, mais, dans ce temps-là, je n’appelais pas ça comme ça, parce que je ne connaissais pas ça – ce que j’avais fait, au fond, j’avais trouvé le montant de contacts à toutes les positions d’un mot. Si vous prenez le mot le plus long en abrégé – constitutionnel, par exemple…

Adrien Filiatreault : Anticonstitutionnel…

Roland Galarneau : Non, ce n’est pas une abréviation…

Adrien Filiatreault : Ah, OK.

Roland Galarneau : Constitutionnellement… J’ai dit : « Ça, ça me prends au moins 20 contacts ». Je vais donc avoir 20 relais… 20 « b », 20 « c », toutes les lettres comme ça. Puis, on a pris un papier avec des carreaux – disons qu’on faisait le mot « absolu », on disait « A1, B2, S3, O4, L5, U6, espace ».

Intervieweur : Comme une matrice…

Roland Galarneau : Comme une matrice… Mais, après ça, il a fallu calculer la première position… Il y a rien qu’un « a », mais, la deuxième, troisième, quatrième…

[Note du transcripteur : À 00:03:32, l’entrevue est interrompue par un appel téléphonique. Elle reprend à 00:03:55.]

Intervieweur : Vous disiez, à propos des matrices…

Roland Galarneau : Il a fallu commencer par faire des matrices, c’est-à-dire essayer de trouver le montant de contacts dont on avait besoin. Par exemple, les « e » à la cinquième, à la sixième et à la septième position… toutes les lettres comme ça. En 1962, j’avais bâti 400 relais à partir de zéro, mais j’avais eu des difficultés avec les contacts. Mais, le circuit pour le programme qui ferait marcher la machine a été fini en 1963. Donc, ça n’a pas été changé. On l’a amélioré. Par exemple, pour toutes les exceptions, on prenait les mots les plus difficiles et on se disait : « Comment est-ce qu’on abrégerait tel mot? » On essayait de trouver, dans le dictionnaire, des mots avec, par exemple, « i, o, l, a ». Il y a des lois qui empêchent la séparation des syllabes. Vous n’êtes pas capable de séparer des syllabes comme « i, o, l »; si un mot comporte la syllabe « ion » suivie d’une voyelle, vous ne pouvez pas la séparer. Vous avez 80 abréviations qu’on appelle les « assemblages de lettres » et vous avez 700 abréviations complètes. Parmi les abréviations complètes, nous avons des mots comme « absolu » et « circonstanciel »; nous en avons 700. Mais, à part ça, vous avez 80 assemblages de lettres comme « ion », « ation », il y a des lois pour chacun de ceux-là. Donc, j’avais calculé les lois et j’avais révisé le tableau qui avait été fait. J’ai travaillé à l’envers, c’est-à-dire que, les gens donnaient une loi, et moi, au lieu de donner la loi, au lieu de dire : « on met telle chose devant », je disais : « on ne met jamais telle chose devant. » Ça m’a permis de faire un programme, en fait, on le fait aujourd’hui avec les microprocesseurs… je pense que le français, c’est 16K de mémoire, hein?

Adrien Filiatreault : 16K de mémoire…

Roland Galarneau : 16K de mémoire… Personne au monde n’avait fait ça à date. Les Français en ont fait un, mais ça prenait dix minutes pour le charger sur un AT.

Intervieweur : Dans le temps, il n’y avait pas d’appareils pareils du tout.

Roland Galarneau : Non. Dans ce temps-là, tout était fait à base de relais. Dites-vous que je ne connaissais pas ce qu’on appelle… Les ordinateurs qui existaient en 1962, en 1963 et en 1964 – IBM – mais moi, je ne connaissais pas ça.

Intervieweur : Alors, pourquoi avez-vous choisi les relais au lieu des transistors, qui existaient en 1962?

Roland Galarneau : Oui… Les transistors, c’est parce que c’était plus facile… d’abord, n’oubliez pas que, quand vous travaillez avec des transistors, vous avez toujours un certain montant de courant. En général, vous les faites marcher et vous les arrêtez, mais ce n’est jamais un arrêt complet, tandis que le relais, quand le contact est ouvert, il est ouvert. Le transistor est beaucoup plus complexe. La raison principale, c’est que je ne pouvais pas les acheter, ça m’aurait coûté trop cher à ce moment-là. Les transistors coûtaient beaucoup plus cher. Prenez un relais, par exemple, de 24 contacts, ça me coûtait au maximum 5 $. Mais, 24 transistors en 1962, en 1963 et en 1964, c’était cher. Donc, comme c’était beaucoup plus facile… j’ai essayé d’avoir des transistors, mais je n’avais aucun moyen de les tester, ni les moyens d’en avoir parce que ça m’aurait coûté cinq à six fois plus cher dans le temps.

Intervieweur : Alors, vous avez été forcé par les circonstances économiques.

Roland Galarneau : Ah oui, mais plus que ça! N’oubliez pas que, quand j’ai décidé de faire le projet, j’ai eu de l’aide de mademoiselle Jeanne Cypihot, une aveugle philanthrope de Montréal. Elle venait chez moi et avait été mon professeur d’anglais lorsque j’étais à Nazareth. Je lui ai expliqué le projet et je lui ai demandé si elle ne pourrait pas m’aider. Elle m’a demandé combien j’avais besoin et je lui ai répondu que ça me prendrait 6 000 $. C’était au mois d’août 1965. Elle a accepté. Il a fallu que je commence à faire mes démarches pour avoir mes relais avec Northern Telecom. Ça m’a pris du mois d’août au mois de mars pour avoir 900 relais. Mais, au mois de mars, elle pouvait seulement me donner 5 000 $. Alors, j’ai dit à Northern Telecom que je ne pouvais pas avoir plus que 5 000 $. Ils ont dit que la solution, c’était de couper 200 relais. Imaginez-vous quand vous avez tout un circuit de fait dans votre tête, ça vous enlève toute une section. Je me suis demandé ce que j’allais faire avec ça. J’ai paniqué pendant cinq minutes. Le lendemain, je me suis mis au tableau, et, après quelques minutes de travail, je me suis dit : « OK, je ne pourrai pas le faire avec des relais, je vais le faire avec des diodes. » Des diodes, ça ne coûtait pas cher. En dedans de trois heures, j’ai trouvé un système qui remplaçait 200 relais. C’était très avantageux, parce que les diodes, c’est presque instantané comparativement aux relais, mais je ne le savais pas quand je l’ai fait. Quand je l’ai fait, j’étais mal pris.

Intervieweur : Rire.

Roland Galarneau : Ça m’a pris 4 000 diodes pour prendre la place de 200 relais, et ça a marché!

Intervieweur : Ah oui?

Roland Galarneau : Adrien peut vous le dire…

Adrien Filiatreault : Ah oui… Il y avait un panneau de 36 pouces par 48 pouces rempli de diodes.

Roland Galarneau : Ce sont des diodes. Je vais vous donner un exemple. Mettons que vous avez l’abréviation du mot « condition ». Vous avez le point 2, le point 5, les points 1, 4, 5. Sur ces diodes, vous envoyez tout simplement les points 2 et 5 à la première position, à la deuxième, les points 1, 4 et 5. L’abréviation sortait automatiquement à l’autre bout. Aussitôt que ça sortait des relais, ça passait à travers les diodes en un rien de temps. Avant de le faire, je n’avais jamais pensé à ça, j’avais pensé le faire avec des relais. Mais, quand j’ai été pris… Vous savez, lorsque quelqu’un est poursuivi, il court, hein?

Intervieweur : Rire.

Roland Galarneau : C’est un peu ça. C’était quasiment comme une poursuite. Je voulais la faire, ma machine, et là il me manquait 1000 $ et je n’étais pas capable d’aller voir ailleurs. Et, je ne pouvais pas demander à Northern Telecom, parce qu’ils ne pouvaient pas me les laisser à ce prix-là. Ils m’ont dit : « Non, on te fait un bon prix, c’est un prix spécial. » Et, en fait, c’était vrai, c’était un prix spécial, parce que 900 relais à 6 000 $, ce n’est pas cher, hein? Ailleurs, j’aurais pu les acheter pour 40 $ chacun.

Intervieweur : J’aimerais reculer un peu dans le temps. Ce n’est pas tout le monde qui connaît le domaine. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir pourquoi, dans le temps, on avait besoin d’un tel ordinateur. Pouvez-vous résumer pourquoi on avait besoin d’un tel système et quel était son but?

Roland Galarneau : Dans ce temps-là, en 1960, même avant, et jusqu’à aujourd’hui, la plupart des livres braille étaient écrits à la main, c’est-à-dire que c’étaient des voyants, comme vous, qui apprenaient le braille, qui apprenaient les abréviations – ça leur prenait au moins deux ans ou même plus pour apprendre le braille – et ils écrivaient ça à la main.

Intervieweur : Comment était le clavier? Comme une machine à écrire?

Roland Galarneau : Non, c’est un clavier de six points…

Intervieweur : Ah, oui, comme le système braille…

Roland Galarneau : C’est ça. Donc, le voyant apprend le système. À l’Institut Nazareth et Louis-Braille à Montréal, il y a encore 30 ou 40 bénévoles qui font des textes comme ça quand ils le peuvent. Alors, moi, je me disais : « Ça n’a pas de sens, c’est bien trop lent! » Je me suis dit que si on était capable d’avoir des méthodes pour qu’une personne qui ne connaît pas les abréviations puisse entrer des textes, ça irait plus vite. Je me disais : « Comment est-ce que je vais faire ça? » C’est pour ça que j’ai essayé de trouver… J’appelais ça un Converto-Braille – qui convertit en braille au fond – parce que je n’appelais pas ça un programme. Donc, je me suis demandé avec quoi je pouvais le faire. Avec des relais… comme on le disait tout à l’heure, les relais sont plus simples. Je pensais qu’avec les relais, je pouvais faire des circuits par cœur. En fait, cette machine-là, Adrien peut vous le dire, a été conçue en faisant les plans et, après qu’elle marchait, je disais : « on va mettre tel fil à tel endroit » et ça fonctionnait. On l’écrivait donc pour ne pas l’oublier. Je le calculais dans ma tête, on le faisait et ça marchait. Quand ça ne marchait pas, on trouvait pourquoi. Parfois, il avait mis le fil à côté, un mauvais fil, un mauvais contact.

Intervieweur : D’après vous, il n’existait pas un système pratique aux États-Unis qui faisait la même chose?

Roland Galarneau : Non, pas comme celui-là. Il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais. Vers 1960, des gens aux États-Unis ont fait des travaux pour faire du braille avec des ordinateurs existants – je l’ai su après – mais je ne connaissais pas les ordinateurs, ce n’était pas pratique pour nous. Pour nous, il n’y avait rien en français. D’ailleurs, en français, ça ne fait pas longtemps qu’il y en a d’autres.

Intervieweur : Même aujourd’hui, dans les ordinateurs, on ne trouve pas toujours les symboles en français (rire). J’aimerais aussi aborder votre parcours de vie. J’aimerais comprendre, par exemple, les circonstances qui vous ont conduit à cette invention (par exemple, votre éducation). Comment avez-vous appris? Le goût d’inventer, par exemple, l’aviez-vous depuis votre jeunesse?

Roland Galarneau : Oui. D’abord, je n’inventais pas des choses, je fabriquais ce dont j’avais besoin. Quand j’étais petit garçon – j’avais quatre, cinq ou six ans – je coupais des morceaux tous croches. Mes frères voyants voulaient me les couper, mais je leur disais : « Non! Si je ne réussis pas à le faire tout seul, tout de suite, je ne serai jamais capable de ne rien faire. » Dans mon esprit, il fallait que je fasse des choses moi-même pour être capable de me développer, pour être capable de faire comme un autre. Pour moi, c’était bien important. D’abord, je n’étais pas aveugle, je vois un peu. Un aveugle, c’est une personne qui ne voit rien. Moi, je voyais quelque chose, donc, je n’étais pas aveugle. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours essayé de me débrouiller par moi-même. Puis, j’ai toujours eu le goût de bâtir mes choses. Je faisais un meuble dans ma tête, j’y pensais, et, quand je le fabriquais, je le jugeais. Je me disais : « oh, j’ai fait une erreur ici »; j’étais déçu, parce que je n’avais pas pu, par exemple, faire les tiroirs que j’imaginais. Les tiroirs que j’imaginais étaient parfaits; ils fermaient et ils étaient justes. Mais, en réalité, quand je les fabriquais, il y avait ¼ de pouce ou ½ pouce qui était croche. Je le voyais avec mes mains tout de suite. Je me disais : « ah! » et je recommençais. J’ai toujours eu cette mentalité-là. Je ne voulais pas dépasser les autres, je voulais me dépasser moi-même. Je suis allé à Nazareth en 1932. J’y ai suivi mon cours primaire. Mais, en 1940, ça a fermé. À ce moment-là, j’avais une 7e et une 8e année en même temps. J’ai donc été obligé de retourner chez moi. Un de mes cousins avait fait trois ans de théologie; il était sorti de chez les prêtres. Pendant deux ans, j’ai étudié la philosophie, le français, l’anglais – toutes sortes de choses – avec lui parce que je ne travaillais pas et lui non plus. J’étudiais le jour et le soir; c’était un passe-temps. Mais, en 1942, je voulais me trouver du travail, parce que j’avais entre 18 et 20 ans. Mon père travaillait à la fonderie Hull Iron and Steel; il y a travaillé pendant près de 30 ans. Je lui ai demandé si je pouvais avoir un restaurant, ou quelque chose du genre. Il m’a répondu qu’il ne devait rien à personne. Il m’a dit : « Si tu veux quelque chose, arrange-toi toi-même. Si tu veux aller voir les gens, vas-y, mais moi, je ne peux rien faire parce que je ne leur dois rien. Je suis payé, mais je ne veux pas remercier personne. » Je lui ai dit : « OK. » J’ai pris un rendez-vous avec le président. Il connaissait mon père, parce que ça faisait des années qu’il travaillait là. Je lui ai expliqué ce que je voulais. Il m’a dit « Je vais aller voir le surintendant. Je pense qu’on sera capable de t’aider. » Je connaissais très bien le surintendant, parce que mon père travaillais souvent le dimanche ou le soir; j’allais lui porter son souper. Le surintendant venait et jasait avec moi. Il me parlait en anglais et je lui parlais en français. Il me trouvait extraordinaire – je ne sais pas pourquoi – mais il me trouvait extraordinaire. Alors, quand le président lui a demandé, bien entendu, il a accepté tout de suite. Donc, en 1942, j’ai eu un restaurant – une petite cantine – je ne vendais pas de repas, juste des tablettes de chocolat, des cigarettes, ces choses-là. J’ai eu ce restaurant-là de 1942 à 1946. Je n’ai pas pu étudier après, parce que je n’avais pas le temps. J’essayais de prendre des cours, mais je travaillais de dix à douze heures par jour. En 1944, je me suis marié; puisque j’étais marié, je voulais garder mon poste. Mais, en 1946, la fonderie a fait faillite. C’était après la guerre et la fonderie fabriquait beaucoup de chaînes pour les chars d’assaut et d’autres outils de guerre. Elle a eu des problèmes et a fermé ses portes. Il a donc fallu que je me trouve autre chose. J’étais marié et j’avais déjà un enfant. Je n’ai pas eu d’ouvrage pendant trois mois. Mais, j’avais connu un avocat qui était un organisateur libéral. Je n’avais jamais fait de politique. Je me disais : « Si je vote, que je sois libéral, conservateur, ça ne me faisait rien »; c’est lui qui s’occupait de ça. Je suis allé le voir et je lui ai dit : « Je suis marié, je n’ai pas d’ouvrage; en avez-vous? Je suis prêt à prendre n’importe quoi, ça n’a pas d’importance. » Je lui ai dit ça à deux heures de l’après-midi. Le lendemain matin à dix heures, j’ai reçu une lettre. Je m’en allais sur le moving staff. On déménageait des choses en camion. J’ai reçu la lettre à dix heures, à onze heures, j’étais à l’endroit où je devais aller. Puis, de là, je suis allé à l’assurance-chômage. Je suis revenu chez moi et à une heure moins le quart, j’étais à l’ouvrage, avec des gants de déménageur… le 11 octobre, il ne faisait pas très chaud. J’avais aussi un coupe-vent. J’étais prêt à déménager des choses. Quand je suis arrivé là-bas habillé comme ça, ils m’ont demandé : « Mais, où est-ce que tu vas »?

Intervieweur : Rire.

Roland Galarneau : J’ai dit à un des gars : « Je suis sur le moving staff, non? » Le gars m’a dit de l’attendre. Il m’a amené au bloc de l’Est comme aide ouvrier. Vous n’avez pas besoin de gants lorsque vous aidez l’ouvrier qui travaille dans le bureau du premier ministre, mais je ne le savais pas. Tout ce qu’ils m’ont dit c’est de ne pas leur dire que j’étais aveugle. Je leur ai répondu que je ne leur dirais jamais, mais qu’il était possible qu’ils s’en aperçoivent.

Intervieweur et Roland Galarneau : Rires.

Roland Galarneau : J’ai travaillé là-bas de 1946 à 1952; j’ai travaillé comme journalier – je faisais toutes sortes de choses. Le mot « journalier » le dit : on fait toutes sortes de travaux. Petite parenthèse : en 1940, j’avais emprunté un livre sur la télévision à la bibliothèque. Dans ce temps-là, la télévision était faites avec des roues avec les trous qui commencent sur le bord en spirale et qui se terminent au milieu. C’étaient les premières expériences dans le domaine. Je me suis fait venir ce livre-là. Je me disais qu’on pouvait peut-être faire quelque chose pour les aveugles dans ces expériences-là. Je suivais du mieux que je pouvais. Je ne pouvais pas lire comme un voyant. Je ne me faisais pas lire beaucoup de livres. Quand je suis rentré comme journalier, j’ai commencé à faire de l’électronique; ma femme m’aidait. Je réparais des radios. En 1947, 1948 et 1949, j’ai fait un cours pendant deux hivers, mais avant ça, j’ai commencé à travailler dans le domaine de l’électronique sans connaître ça. Je venais à bout de réparer les radios. J’ai fait un cours sans voir ce que je faisais – on me faisait un peu de lecture – et j’ai réussi. J’ai eu une note de 85 % sur deux ans. Là où je travaillais, il y avait un type qui était le patron des plombiers et de la machinerie. Il m’a demandé si je voulais être machiniste. Je lui ai répondu que oui, mais que l’école technique ne voulait pas me donner de cours sous prétexte que c’était trop dangereux. Vu qu’il était le patron, je lui ai demandé s’il m’accepterait. Il m’a répondu « Pourquoi pas »? Je lui ai demandé : « Si je fais les démarches et qu’on te demande si tu m’acceptes, es-tu certain que tu vas le faire? » Il m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai aussi demandé s’il était prêt à venir avec moi pour faire les démarches. Je commencerais d’abord par appeler mon ami avocat, qui était un de ses amis aussi. Il m’a dit « OK, go ahead. » C’était à onze heures le matin; à midi, lorsque je suis arrivé pour dîner, je lui ai dit : « Monsieur Jackett, j’ai un rendez-vous à deux heures avec Farley. Voulez-vous venir? » Il m’a dit : « Vous n’avez pas perdu de temps! » Je lui ai répondu : « Vous m’avez dit oui. » Il m’a dit : « D’accord, je vais y aller. »

Intervieweur : Tout passe vite dans votre vie, hein? Rire.

Roland Galarneau : Donc, le 15 janvier à deux heures, nous sommes allés voir monsieur Farley. Après, je suis allé voir un autre organisateur; ils sont allés voir le ministre Alphonse Fournier, puis, le 17 mars, j’entrais comme machiniste. La première chose que le surintendant a fait lorsque je suis entré comme machiniste, c’est de me convoquer à son bureau pour me dire que le métier de machiniste était dangereux. Si je voulais, je serais journalier, mais on me payerait le salaire d’un machiniste. J’étais tellement content! Il a été vraiment bon pour moi! Mais, je lui ai demandé une faveur. Il m’a dit : « Anything, sir, anything! » Je lui ai dit : Laissez-moi essayer, au moins. Si ça ne va pas, je retournerai comme journalier. » Il m’avait dit qu’il m’accepterait, alors, il ne pouvait pas dire non. Il m’a dit : « Go ahead », même s’il n’aimait pas ça.

Intervieweur : Rire.

Roland Galarneau : J’ai appris mon métier comme ça. Ils ont fait toutes sortes de trucs pour me décourager.

Intervieweur : C’était en quelle année?

Roland Galarneau : C’était le 17 mars 1952. Je suis rentré comme machiniste. Il m’a donné un morceau – je n’avais pas d’outils – il a pris un… en anglais, on appelle ça un caliper. Il m’a donné un morceau d’un demi-pouce, puis un autre de cinq huitièmes de pouces et m’a demandé de les mettre de la même grosseur. J’ai travaillé, je l’ai fait. Je lui ai demandé s’il pouvait le mesurer, parce que je n’avais pas l’appareil qu’il fallait pour y arriver. Il l’a mesuré et est devenu choqué bleu! Je ne comprenais pas ce qu’il avait! Il m’a dit : « Ce n’est pas juste! » C’était un irlandais catholique; c’était un bon diable, mais il ne m’aimait pas trop.

Intervieweur : Rire.

Roland Galarneau : Je ne comprenais pas. Il m’a dit : « Regardez bien! Vous avez réussi à faire cinq dixièmes de millièmes du premier coup! » Ça, monsieur, c’est quelque chose comme… dans un millimètre, vous avez quarante millièmes de pouce, c’est dix fois plus petit. Ça lui a pris un an pour arriver à un millième de pouce de différence. Moi, je l’ai réussi du premier coup. J’ai essayé de lui expliquer que ce n’était pas de ma faute, que j’étais habitué d’aller à tâtons, enfin, je lui ai raconté toutes sortes d’histoires. Il ne me l’a jamais pardonné. En fait, ce n’était pas de ma faute. Même si, en fin de compte, je n’avais jamais fait ça, je n’avais pas de misère à y arriver. J’ai appris mon métier comme ça. J’ai été chanceux parce que je suis allé voir un optométriste à Hull que je ne connaissais pas. Je lui ai demandé s’il avait des lentilles très fortes, parce que je voulais voir les indications sur le tour. Il m’a dit qu’il en avait, mais qu’elles n’étaient pas pratiques. Il m’a fait rencontrer deux physiciens du Conseil national de recherche. L’un d’eux, monsieur Labrecque, m’a apporté un petit microscope d’à peu près trois pouces de long. J’étais donc capable de lire les divisions sur le tour. Quand je l’ai apporté chez moi, je l’ai défait – je l’ai allongé – et je me suis rendu compte que j’étais capable de lire. Je ne pouvais pas lire en voyant. Je pouvais lire des gros chiffres sur une boîte; j’ai appris mes lettres comme ça. Donc, je les ai appelés et je leur ai dit que, si j’allongeais le microscope à neuf ou dix pouces de long, je pouvais lire. Je leur ai demandé de me donner les formules; j’allais faire les calculs et le réduire à cinq pouces, parce qu’il était bien trop long. C’était fatigant de lire avec un long appareil. Ils m’ont donné les formules et j’ai calculé que ça me prendrais un objectif de telle puissance; j’ai fait mes calculs moi-même. Ils m’ont donné ça et j’ai bâti mon microscope avec des pattes pour l’appuyer, parce qu’une puissance de 40, c’est quelque chose! Il renversait l’image, mais ça ne me faisait rien; je mettais mon livre à l’envers et je lisais dans le sens opposé. Donc, j’ai commencé à lire.

Intervieweur : Vous n’avez jamais lu avant.

Roland Galarneau : Non. Je lisais en braille.

Intervieweur : Mais alors, est-ce que l’alphabet était facile à lire? Est-ce que les mots étaient clairs?

Roland Galarneau : Quand vous lisez des textes dans un livre, les lettres sont toutes pareilles; elles ne sont pas manuscrites. Je pouvais lire celles qui se trouvaient sur une grosse boîte de conserve, par exemple. C’est comme ça que j’ai appris à lire. Avec le microscope, je lisais une lettre à la fois. J’ai donc commencé à lire. Et là, monsieur, j’ai lu! Quelqu’un m’a amené à la bibliothèque du conseil national et je suis allé chercher des livres. J’ai étudié; je me suis acheté des livres sur la machinerie. J’ai fait mon cours de machinerie sans prendre de cours. Le livre disait de faire telle chose à telle précision et je le faisais. Je prenais mon livre, je regardais les renseignements qu’on y donnait. Et savez-vous? J’étais rendu meilleur que le livre. À la fin, au point de vue de la précision, j’étais plus rapide. Pour vous donner un exemple, je me rappelle qu’on m’a dit que je ne serais jamais capable de faire des roues d’engrenage parce que, pour faire une roue d’engrenage, ils prenaient leur morceau et ils mettaient un paquet de cigarettes entre le morceau et le couteau qui roulait au-dessus. Quand le couteau commençait à déchirer le papier à peu près à un millième et demi, ils estimaient que ça faisait trois quart de millième et ils commençaient à calculer. Évidemment, j’avais trop peur d’aller me mettre les mains là. Savez-vous ce que j’ai fait? Comme je travaillais en électronique, j’ai pris un Crystal de pick-up que j’ai connecté à un haut-parleur. Quand mon couteau frôlait le dixième de millième de pouce, je l’entendais. C’était bien meilleur que leur méthode.

Intervieweur : Ah, intéressant!

Roland Galarneau : Au cours de mes 20 ans de machinerie, j’ai inventé – pour moi, ce n’était pas de l’invention – j’adaptais des choses. Je me suis fait un indicateur sur le chariot d’un tour.  J’ai enlevé la roue et je me suis fait un indicateur pour être capable de travailler juste avec mes doigts, sans être obligé de toucher au métal. Par exemple, si je faisais 100 morceaux pareils, je pouvais suivre sur la roue avec des indicateurs en braille – j’ai fait ça moi-même. Je faisais toutes sortes de choses pour être efficace. Je travaillais le double de la vitesse des autres.

Intervieweur : Avez-vous gardé ces choses-là?

Adrien Filiatreault : Oui.

Roland Galarneau : Oui, il y en a que j’ai remis sur mon tour personnel. J’ai travaillé comme ça. C’est pour ça que je vous dis que, quand les gens me disent que j’ai inventé, je n’appelle pas ça de l’invention, j’appelle ça de l’adaptation pour mes besoins. Ça a toujours été le but; ce n’était pas pour être mieux que les autres, c’était pour être aussi bon que les autres, comme eux. C’est tout.

Intervieweur : Alors, l’idée des relais, vous avez appris ça en lisant?

Roland Galarneau : Mon problème avec les relais, c’était qu’il était très difficile de lire un catalogue. Dans le temps, je ne lisais pas de catalogues. Donc, les relais que je connaissais, c’étaient les relais de téléphones avec de gros contacts. Mais, je ne connaissais pas ceux que j’ai mis dans mon ordinateur. J’ai pris un cours avec quelqu’un qui travaillait à la Northern Telecom et il m’a demandé ce que je faisais. Je lui ai dit que je voulais faire des machines et je lui ai demandé si la Northern Telecom avait des relais. Il m’a demandé quelle sorte de relais je voulais. Lorsque je lui ai expliqué, il m’a répondu que la compagnie en avait. Le lendemain, il m’en a apporté, mais je ne les connaissais pas. Une des difficultés dans ma vie, c’est de ne pas avoir été capable de feuilleter des catalogues; imaginez si, avec un microscope, vous commenciez à fouiller dans un catalogue… c’est lourd. Même aujourd’hui, je le fais, mais j’aime mieux qu’Adrien le fasse; je le regarde faire et je lui demande : « Le lis-tu? » Il me répond : « Oui, je suis en train de le lire au complet. »

Intervieweur : Rire. Est-ce qu’il y avait une question de vitesse?

Roland Galarneau : Oui.

Intervieweur : Cherchiez-vous des relais plus vite que…

Roland Galarneau : Le plus vite possible.

Intervieweur : Quelle était la vitesse de…

Roland Galarneau : Dans le temps, on pouvait sortir 60 caractères à la minute avec le système qu’on avait.

Adrien Filiatreault : Non, 60 mots à la minute.

Roland Galarneau : Excusez-moi, 60 mots à la minute. La difficulté que j’avais avec les relais, c’est qu’étant donné qu’il y en avait différentes sortes, je n’étais pas capable d’aller plus vite que le relais le plus lent.

Intervieweur : Et quelle était la vitesse du relais le plus lent?

Roland Galarneau : Dans le temps, c’était 60 mots à la minute.

Adrien Filiatreault : Ah, vous voulez savoir la vitesse de relais?

Intervieweur : Oui, la vitesse de relais.

Roland Galarneau : Le relais pouvait aller autour de 20 à 30 millisecondes d’opération.

Intervieweur : Ah, OK.

Roland Galarneau : Il ne prend pas de temps à fermer, mais, pour l’ouvrir…

Adrien Filiatreault : Peut-être une milliseconde pour lâcher?

Roland Galarneau : À peu près une milliseconde pour lâcher, mais c’est qu’il peut aller jusqu’à 30 secondes, parfois un peu…

Intervieweur : J’ai apporté un relais qui vient d’un des premiers ordinateurs faits en Angleterre. Pour faire toute l’action, ça prend une milliseconde. C’est un petit relais de la compagnie Siemens; les Allemands faisaient des relais. En 1949, on bâtissait des ordinateurs avec des relais. On a abandonné ça une fois qu’on a trouvé des ampoules et des transistors plus tard.

Roland Galarneau : Mais, les relais qu’ils ont pris, c’étaient des wire springs; la raison pour laquelle ils étaient si lents, c’est qu’ils avaient beaucoup de contacts. Il y avait 24 contacts sur un seul relais.

Intervieweur : Ah…

Roland Galarneau : Avec ceux-là, vous étiez limité; vous ne pouviez pas aller plus qu’une certaine limite. Imaginez quand vous avez, par exemple, 50 relais qui ouvrent en même temps. Il faut que le courant passe à travers. Mais, s’il y en a un qui ouvre plus vite ou qui prend plus de temps à ouvrir, il faut lui donner un certain temps. On était obligé de donner un certain temps parce que les relais n’étaient pas tous pareils.

Intervieweur : Ah, OK. Sur les plans technique et personnel, quels étaient les difficultés ou les défis importants dans la conception ou la fabrication, par exemple, de cet ordinateur?

Roland Galarneau : Le premier problème que j’ai rencontré, c’est que, lorsque je posais des fils, les contacts étaient proches. J’avais de la difficulté à le faire parce que je me trompais de contact. C’est pour ça que j’ai été obligé de faire appel à Adrien ou à mes enfants pour commencer. J’en faisais, mais je les faisais vérifier après, parce que vous avez à peu près trois seizièmes de pouces entre chacun. À l’œil, trois seizièmes de pouces, c’est pas mal, mais au doigt, je vous garantis que, quand le fil est rentré, vous ne pouvez pas toucher ce qui se trouve entre les fils. Donc, ça a été le premier problème que j’ai rencontré. Je ne pouvais pas les faire moi-même, j’étais obligé de demander à quelqu’un d’autre. Ça a été le plus gros calvaire que j’ai eu à endurer parce que j’attendais les autres et je n’aimais pas ça. Mais, je n’avais pas le choix. C’est pour ça qu’en 1968, lorsqu’Adrien a commencé à travailler avec moi, la première chose que j’ai faite, c’est de lui montrer comment faire pour qu’il apprenne à mesure. Comme ça, il serait capable de continuer le travail. Ce que je voulais qu’il comprenne, ce n’était pas de mettre un fil là et un autre ailleurs; il fallait qu’il comprenne pourquoi il fallait le mettre à tel endroit et comment le circuit était fait. Une fois qu’il avait compris le principe, il était capable de continuer seul.

Adrien Filiatreault : Mais on faisait ça le soir.

Roland Galarneau : Ah, oui…

Adrien Filiatreault : Rien que le soir.

Intervieweur : Pourquoi?

Adrien Filiatreault : Parce que monsieur Galarneau avait un emploi à temps plein.

Roland Galarneau : Je travaillais, moi!

Intervieweur : Oh, oui! J’avais oublié!

Adrien Filiatreault : C’est pour ça que ça a pris tant de temps à sortir l’appareil pour qu’il soit fonctionnel. Monsieur Galarneau occupait un emploi huit heures par jour, donc, il faisait ça le soir et les fins de semaines. Il fallait qu’il essaie d’avoir de l’aide de ses enfants ou d’autres personnes pour faire les connexions les plus difficiles.

Intervieweur : Vous faisiez la même chose?

Adrien Filiatreault : Oui, le soir. Mais, en 1972, des initiatives locales sont arrivées. À partir de ce moment-là, on a pu embaucher des gens et le développer comme c’était prévu dans son idée originale.

Intervieweur : Ah, bon. La conception s’est faite en 1962, 1963 et 1964, mais c’est la fabrication qui était le problème.

Roland Galarneau : En 1966, on fabriquait l’appareil le soir. Prenez par exemple la structure pour tenir les relais; tout a été fait le soir et les fins de semaines. Mademoiselle Cypihot m’avait donné de l’argent pour acheter un tour et une fraiseuse pour que je puisse faire des morceaux chez moi. J’ai fabriqué un soudeur électrique pour être capable de bâtir une scie à ruban. Je suis allé chercher des livres pour étudier la soudure pour que mon garçon puisse la faire. Je n’étais pas capable de faire de la soudure électrique. Ce qui est drôle là-dedans, c’est que, dans mon cas, quand j’avais quelque chose à faire, je ne posais jamais la question à savoir si j’étais capable ou non. Je prenais les livres et je les lisais avec mon microscope à l’envers, puis je les étudiais. Ensuite, j’expliquais à mes petits gars de neuf, dix, onze ou douze ans comment le faire. Je les suivais, mais, je n’étais pas capable de faire la soudure électrique parce que je ne voyais pas assez bien. On a bâti une scie à ruban qui existe encore. On a coupé le métal en longueur; j’ai fait le plan de mémoire. On a coupé les morceaux, mon fils les a soudés, puis j’ai fait les autres parties. La scie à ruban fonctionne encore. Elle a été faite en 1963-1964. En fait, ma vie a été une construction constante. C’est encore pareil. Dans ma tête, c’était un besoin.

Intervieweur : Pourquoi n’avez-vous pas essayé de donner ça à une entreprise privée qui aurait pu commercialiser l’appareil en 1968 ou en 1969?

Roland Galarneau : Je n’avais pas d’argent. L’appareil n’était pas assez avancé. La Northern Telecom n’aurait pas été intéressée à prendre ça parce qu’il n’y avait pas d’argent à faire là-dedans.

Adrien Filiatreault : Il n’y avait pas de marché, même pour les entreprises qui auraient transcrits du braille pour les personnes handicapées visuelles.

Intervieweur : Les entreprises n’avaient pas d’argent à donner?

Roland Galarneau : Non. J’ai inventé un terminal en 1979-1980; Telesensory Systems, Inc. (TSI), une entreprise américaine, est venue me consulter parce qu’elle avait besoin d’un terminal. Elle a choisi le mien parmi cinq ou six autres, parce qu’elle a trouvé que c’était le meilleur. C’est TSI qui le fabrique en ce moment. Ça lui a pris deux ans à le concevoir à partir de mes idées. Adrien est retourné là-bas du 7 au 24 janvier de cette année pour aider les concepteurs à régler des problèmes qu’ils ne comprennent pas. Pourquoi? Parce que nous, on a une base technique. Un ingénieur, c’est bon, mais il va faire sa partie mécanique qu’il trouve très bonne. L’autre ingénieur fait sa partie électronique qu’il trouve bonne aussi. Ils doivent les mettre ensemble pour que ça marche. Mais, ce n’est pas vrai, hein, parce qu’il n’y a pas un ingénieur au monde qui peut me dire que son travail est parfait. Donc, si vous prenez toutes les imperfections de chacun et que vous les mettez ensemble, ça donne un produit qui ne marche pas toujours, ou qui marche mais qui boite. Nous, on est là pour régler les problèmes. TSI s’est aperçu de cela. La compagnie nous a demandé de trouver les bugs dans leur machine pour l’aider à en vendre plus parce qu’elle nous donne des royautés; elle a acheté les droits de mon terminal. Elle a besoin de nous. Ce n’est pas facile. TSI peut vendre ses produits dans le monde entier, parce qu’elle en conçoit certains qui peuvent être vendus à grande échelle. Mais, dans le temps, notre ordinateur était trop lourd, trop primitif. Dans le temps, je n’avais aucun moyen de raffiner mon produit.

Intervieweur : Avez-vous reçu des brevets?

Roland Galarneau : Pas pour ça.

Intervieweur : Pour autre chose?

Roland Galarneau : Oui. Pour le terminal, j’ai un brevet américain et canadien. Je pense que TSI l’a demandé pour le Japon. Moi, je paie pour le brevet canadien et TSI paie ceux des autres pays. Mais, TSI me donne une royauté.

Intervieweur : Au début, pendant votre travail sur l’ordinateur jusqu’en 1972, y a-t-il eu des brevets?

Roland Galarneau : Non. À partir de l’ordinateur de 1972, il y a eu un projet qui s’appelait Aube en 1978. Ce projet-là visait à prendre l’ordinateur à relais et mettre le programme dans des ordinateurs ordinaires. On a engagé un jeune ingénieur de Montréal qui sortait du MIT et Adrien et moi lui avons expliqué comment notre appareil à relais fonctionnait. Il l’a mis sur un microprocesseur 6802.

Intervieweur : Donc, l’appareil est électronique maintenant.

Roland Galarneau : Oui.

Intervieweur : Là-bas, je vois des microprocesseurs…

Adrien Filiatreault : C’est parce qu’en fait, il y a deux projets.

Intervieweur : On parle de votre invention comme d’un ordinateur, mais la définition d’un ordinateur est assez… Rire. La programmation, ce qu’on appelle hard wire en anglais… il n’y avait rien à programmer comme tel. Tout était dans les circuits.

Roland Galarneau : Vous souvenez-vous du premier ordinateur qu’ils ont eu pour les statistiques? Il y avait un cœur et ils faisaient la programmation avec des fils.

Intervieweur : Oui, je sais.

Roland Galarneau : Pour nous, c’était la même chose, sauf que les fils étaient connectés une fois et ça marchait.

Intervieweur : Souvent, lorsqu’on décrit les systèmes informatisés comme celui-là, on parle de dispositif d’entrée, d’unité centrale et de dispositif de sortie. On veut souvent améliorer les rapports entre l’utilisateur et le système pour le rendre plus accessible, plus user-friendly. Donc, qu’avez ’vous fait, par exemple, dans le dispositif d’entrée, pour rendre le système plus accessible à l’utilisateur?

Adrien Filiatreault : Le système était fait sur des rubans de dactylo perforés. C’étaient des Fairchild Perforators. Les gens tapaient le texte sur un Flexowriter ou un Fairchild.

Roland Galarneau : Ils voyaient leur texte.

Intervieweur : C’était un code Baudot à cinq trous.

Roland Galarneau : Non, à sept trous. Ils voyaient leur texte, comme sur un télétype. Ils avaient une feuille sur laquelle ils voyaient ce qu’ils écrivaient. Ça s’imprimait en même temps sur un ruban perforé.

Intervieweur : Après ça, on prenait cette bande pour produire le texte braille…

Roland Galarneau : Il sortait sur une bande perforée.

Intervieweur : On prenait cette bande pour produire les textes braille. Est-ce que c’est le même appareil qui imprimait ou est-ce que c’est l’imprimeur qui faisait ça?

Adrien Filiatreault : C’est un autre appareil qui avait été arrangé pour produire le braille, parce que les imprimeurs ne faisaient pas ça.

Intervieweur : Les appareils se trouvaient un à côté de l’autre, n’est-ce pas?

Roland Galarneau et Adrien Filiatreault : Oui.

Roland Galarneau : C’était une imprimante manuelle sur laquelle on avait mis des plungers. Elle n’imprimait pas vite.

Adrien Filiatreault : Elle imprimait 70 pages par jour.

Intervieweur : Voyez-vous des rapports entre le système braille et les imprimantes matricielles à neuf ou à vingt-quatre points? Ce n’est pas la même idée?

Roland Galarneau et Adrien Filiatreault : Non.

Roland Galarneau : En fin de compte, le braille, c’est quasiment comme un code morse, mais encore mieux. Regardez, je vais vous donner un exemple. Prenez la lettre « a ». D’abord, imaginez qu’une cellule braille…

Intervieweur : Je ne connais pas le braille! Allez-y, j’ai la cellule devant moi.

Roland Galarneau : Le « a », c’est le point 1. Le « b », ce sont les points 1 et 2. Le « c », ce sont les points 1 et 4. Si vous continuez comme ça, il y en a dix. Ensuite, si vous regardez le « k », vous voyez que ce sont les mêmes dix lettres, plus un point en bas à gauche, c’est-à-dire le point 3. En-dessous du « k », vous avez le « u », ça vous donne deux points. En fait, le braille est en réalité un code simple.

Adrien Filiatreault : C’est que vous n’avez pas la carte braille, c’est un article qui a été publié.

Roland Galarneau : Si j’y avais pensé, je vous aurais apporté une carte visuelle sur laquelle vous voyez les dix premiers symboles et leur relation avec les autres.

Adrien Filiatreault : Voyez-vous, ça arrête ici et ça recommence… On ajoute le point 3 à toutes ces lettres-là.

Intervieweur : Ah!

Adrien Filiatreault : Voyez-vous, « a » devient un « k ». Si j’ajoute le point 3 à la lettre « b », ça devient un « l », ainsi de suite.

Intervieweur : Ah, je comprends!

Roland Galarneau : Si vous recommencez avec deux points en bas, vous allez avoir le « u », le « v »… Ensuite, si vous voulez aller encore plus loin, vous allez avoir le « â »… Donc, c’est un code qui est très structuré. C’est un vrai code; c’est toujours trois par deux et c’est toujours la même cellule, toujours la même grandeur.

Adrien Filiatreault : Mais, par rapport aux imprimantes matricielles, elles ont neuf points et elles nous dessinent une image.

Intervieweur : Ce que je veux savoir, c’est la logique pour quel point va imprimer, c’est-à-dire que la personne qui tape envoie un signal ailleurs qui indique un « a »…

Adrien Filiatreault : Ah! Non, la personne qui tape en braille donne les bons codes en partant. La personne voyante qui tape utilise l’ASCII comme transfert.

Intervieweur : C’est l’ASCII qui fait ça, OK.

Adrien Filiatreault : En fait, les sept perforations constituaient le code ASCII.

Intervieweur : Vous avez converti tout ça en code ASCII.

Adrien Filiatreault : Les machines faisaient la conversion.

Intervieweur : Tout le circuit était pour faire la conversion. Le relais était pour…

Adrien Filiatreault : Une partie de la machine était de l’entrée, le décodage du ruban, pour dire que le point 1 et 7 sur le ruban était le « a » en ASCII.

Intervieweur : Pouvez-vous me parler de cette structure? On a le décodage au début?

Adrien Filiatreault : On avait un décodage pour le ruban (l’entrée du texte), ce décodage-là transformait chaque caractère en signaux électriques pour actionner, disons, le « a » de toutes les mémoires. Il y avait la mémoire des abréviations complètes et celle des abréviations partielles. Dans la mémoire des abréviations complètes, le « a » opérait le relais « a ». Dans la mémoire des abréviations partielles, le « a » opérait le point 1. Si ça avait été un « b », il aurait opéré les points 1 et 2.

Intervieweur : Ah, OK.

Adrien Filiatreault : À ce moment-là, le système était conçu de telle façon que la mémoire d’abréviations complètes avait toujours priorité. Donc, si on avait un cheminement comme « a b s o l u », à l’espace, il y aurait eu un déclenchement pour indiquer qu’il s’agissait d’une abréviation complète. L’abréviation serait sortie à travers des diodes « a b ». Le système en parallèle – ce qu’on appelle les abréviations partielles – aurait été annulé parce que l’abréviation complète existe.

Intervieweur : Ah, OK, je comprends.

Adrien Filiatreault : Si l’abréviation complète n’avait pas existé, à ce moment-là, il y aurait eu un balayage à l’intérieur de la mémoire des abréviations partielles en points braille. Le système se serait mis à balayer huit caractères à la fois pour trouver des abréviations comme « quement », « tement », « vement », « ai » et les lois – qui s’appliquent ou non. S’il avait trouvé un « quement », il l’aurait coupé et aurait mis un « qm » à la place et l’aurait envoyé à la sortie dans la mémoire d’output – encore des relais – pour finalement l’envoyer au perforateur, avec la mise en page.

Intervieweur : Ah, OK. Alors, combien de temps fallait-il pour encoder toutes ces règles? Il y a beaucoup de règles pour chaque cas particulier, n’est-ce pas?

Adrien Filiatreault : C’est surtout des cas qu’on appelle des exceptions. On travaillait à l’envers, c’est-à-dire qu’on disait à la machine : Dans ce cas-là, tu ne fais pas ça. Le reste du temps, vas-y. »

Roland Galarneau : Par exemple, on disait : que l’abréviation « ion », c’est telle combinaison de points. Mais, si, après le « n », il y a « a, e, i, o, u », on ne la met pas. On met « i », puis l’abréviation pour « on »; c’est la loi qui s’impose. Il y avait des lois comme ça. Les exceptions sont souvent construites avec des voyelles, mais, parfois, elles sont construites avec une voyelle, mais pas telle consonne. Les lois ont toutes été faites comme ça. Il fallait les faire avant de connecter les fils, parce qu’une fois les connexions faites, vous ne pouviez pas les défaire. Ça se fait, mais c’est long! C’était plus facile de calculer avant.

Adrien Filiatreault : La seule chose qui arrivait, c’était que dans le courant de l’entrée de texte et de l’impression, le correcteur aveugle lisait du texte, mais, à un moment donné, il nous arrivait en nous disant : « Aïe, on a oublié tel mot. Il existe et nous n’en avons pas tenu compte. » Donc, il fallait ajouter le mot dans la machine ou ajouter la nouvelle loi parce qu’il y avait une nouvelle exception que nous avions trouvée. D’ailleurs, ça se fait continuellement.

Roland Galarneau : Ah, oui, ça se fait encore.

Adrien Filiatreault : On trouve encore des mots qui n’ont pas été utilisés; tout d’un coup, quelqu’un les utilise ou utilise une combinaison de mots qui n’a pas été bien faite au départ. Il faut donc modifier le logiciel.

Intervieweur : Ah, OK. Ce qui m’intéresse, c’est de placer ce système dans la catégorie des ordinateurs. On a un clavier comme dispositif d’entrée, puis un décodeur…

Adrien Filiatreault : On parle de la machine comme telle?

Intervieweur : Oui. On parle de tout le système. Un voyant qui s’assoit ici a le clavier d’une machine à écrire Flexowriter qui produit une bande perforée.

Roland Galarneau : Il produit aussi la page en imprimé.

Intervieweur : Oui, pour qu’il puisse lire ce qu’il écrit. Après ça, on a le traitement, la logique électronique là-dedans.

Roland Galarneau : Oui.

Intervieweur : Les informations sur le ruban vont se transformer…

Adrien Filiatreault : L’appareil va ensuite décoder le ruban et utiliser ce décodage pour trouver la lettre « a » et circuler dans la machine pour placer tout ça à la bonne place. Si, sur le ruban, j’ai « a, b, s, o, l, u », simultanément, la machine décode le « a », dépose le « a » dans la mémoire des abréviations complètes…

Intervieweur : Quelque part dans la machine, il y a aussi une mémoire des matrices de relais, n’est-ce pas?

Roland Galarneau : Ah, oui.

Adrien Filiatreault : Ensuite, l’appareil dépose les points braille du « a » dans la mémoire des abréviations partielles, puis il continue comme ça, « a, b, s, o, l, u ». À l’espace, la mémoire complète déclenche pour indiquer qu’elle a trouvé une abréviation, donc, annule la mémoire partielle, puis, ça continue. L’autre mos s’en vient. Si c’est un mot comme « aboutir », ça va être la même chose : « A1 » dans la mémoire complète, le point 1 dans la mémoire partielle; étant donné qu’il n’y a pas d’abréviation complète pour « aboutir », le délai alloué…

Intervieweur : Je suis mêlé. Que voulez-vous dire par une abréviation complète?

Adrien Filiatreault : Il s’agit d’un mot complet. « Absolu », c’est un mot; « aboutir, c’est un mot, mais il n’y a aucune abréviation en braille pour ce mot.

Intervieweur : Ah, OK. Je comprends maintenant! Il faut abréger les mots parce que ça fait beaucoup de…

Roland Galarneau : Il y a 700 abréviations complètes…

Adrien Filiatreault : Avec les familles, c’est 2 000.

Roland Galarneau : Il y a 700 mots complets, c’est-à-dire « absolu », « avoir », « amour »…

Intervieweur : Ah, je comprends!

Adrien Filiatreault : Si on ne trouve pas de mot au complet, à ce moment-là, on étudie tout le mot pour essayer de trouver des assemblages de lettres, comme « ai », « on », « ion »… Il y en a 60 à 80 comme ça. Tout ce passe dans la mémoire des abréviations partielles.

Intervieweur : Donc, on a deux mémoires : une pour les abréviations complètes et l’autre pour ce que vous appelez…

Adrien Filiatreault : Les assemblages de lettres…

Intervieweur : Ah, OK.

Roland Galarneau : Vous savez pourquoi on a fait ça, hein? C’est parce qu’il y a une logique. Théoriquement, on aurait pu faire les deux mémoires ensemble, mais, je ne l’ai pas fait parce que si ça avait été le cas, au lieu de balayer huit lettres – dans les assemblages de lettres – le maximum, c’était huit lettres – il aurait fallu que l’appareil balaie jusqu’à 25 lettres comme dans le mot « anticonstitutionnellement ». Ça aurait été tellement lourd que la machine aurait pris trois fois plus de relais. En les séparant en deux, je savais exactement combien de mots étaient des abréviations complètes. S’il n’y avait pas d’abréviation complète, c’est-à-dire si le mot n’était pas abrégé… « Absolu », c’est « a, b », c’est toujours ça. « Absolue », c’est « a, b, e », « absolus », c’est « a, b, s ». S’il n’y avait pas d’abréviation complète, il fallait trouver les assemblages de lettres qu’il pourrait y avoir dans ce mot. Comme dans « anticonstitutionnellement », il y a beaucoup d’assemblages de lettres : « an », « cons », puis ensuite « tion »… Donc, quand on balaie huit lettres… « anticons »… il n’y en a pas – au début, oui, « an » - il coupe le « an » et il met l’abréviation qui y correspond. Il continue comme ça, il y a une rotation qui se fait. C’était beaucoup moins lourd pour les relais de le faire comme ça. Avec un microprocesseur, ce n’est pas nécessaire de le faire comme ça. Mais, ça prenait trop de relais.

Adrien Filiatreault : Avec le microprocesseur, on a une mémoire complète et la partie avec les assemblages de lettres. En anglais, les deux mémoires font la même chose, parce que c’est moins gros en anglais.

Intervieweur : En anglais, on a ce qu’on appelle un Look-Up Table.

Roland Galarneau : C’est ça. Évidemment, nous n’avions pas ces termes-là parce que nous ne connaissions pas la programmation. Mais, si vous regardez Apple, ce sont les mêmes termes, au fond. Les programmes ordinaires sont faits comme ça. Au fond, nous avons fait le nôtre avec les contraintes que nous avions avec les relais.

Adrien Filiatreault : La table des abréviations complète ne comprenait que des mots avec une espace qui les terminait. Mais, la table des abréviations partielles était organisée de telle sorte que l’appareil pouvait la trouver n’importe où dans le mot. S’il le trouvait, il déclenchait immédiatement la liste des exceptions pour savoir s’il pouvait abréger le mot.

Intervieweur : Tout ça était fait avec des circuits de relais?

Adrien Filiatreault : Tout était en circuits. Vous aviez un circuit qui était composé des voyelles, vous aviez un relais qui contenait toutes les voyelles possibles. À ce moment-là, on disait : « an n’est jamais devant une voyelle. » Donc, le « an » se plaçait, et il y avait son exception qui s’appelait « jamais devant une voyelle ». Donc, quelque chose coupait le circuit pour dire à l’appareil qu’il n’avait pas le droit de faire ça. Donc, l’appareil ne faisait rien parce que les voyelles suivaient.

Intervieweur : Combien de relais fallait-il pour tout ce système?

Roland Galarneau : Celui que vous avez comporte près de 1 000 relais.

Adrien Filiatreault : Il y en a 340 dans la mémoire complète.

Roland Galarneau : Il y a aussi une section qui ne sert qu’à trouver la longueur des lignes. Si vous avez, par exemple, 40 lettres, vous allez dire à l’appareil que vous en avez 42. J’avais fait un système pour que le mot qui a deux lettres de trop soit ramené au début de l’autre ligne quand l’appareil arrivait à l’espace. On faisait la même chose avec les lignes. Si on avait 25 lignes – on ne pouvait pas en avoir plus de 25 – la  26e ligne allait à l’autre page. J’ai fait ça seul chez moi; je l’ai apporté au bureau et Adrien l’a connecté à l’autre partie. En fin de compte, cet appareil, je l’ai toujours pensé dans ma tête, parce que je n’étais pas capable de le mettre sur papier. C’est Adrien qui faisait les circuits.

Intervieweur : Est-ce que les circuits sont dessinés? On a juste des bouts de papier…

Adrien Filiatreault : Un exemple de circuit serait celui d’une abréviation partielle, où on avait trouvé une nouvelle loi (comme par exemple « an » jamais devant tel cas); si on avait modifié le circuit, on l’ajoutait à l’appareil. Les circuits généraux, comme ceux qui font le formatage de page, c’est-à-dire du autowrap, il y a un circuit d’autowrap là-dedans. Il y a aussi un circuit pour l’auto page feed.

Intervieweur : Là-bas, vous allez nous indiquer qu’est-ce qui est quoi…

Adrien Filiatreault : Il y a des circuits seulement pour le contrôle, pour le cœur de la machine. Le conteur, par exemple, celui qui s’occupe du temps de tout le monde; il y a une espèce de clock, mais avec des relais.

Intervieweur : Ah, avec des relais!

Roland Galarneau : En fin de compte, j’ai pris un livre rédigé par la Northern Telecom et j’ai trouvé un circuit, un clock qui saute d’un à l’autre, je l’ai regardé et je me suis dit : « C’est celui-là dont j’ai besoin. » Je l’ai fait avec deux relais.

Intervieweur : Quelle était la vitesse de cette horloge?

Roland Galarneau : Il faudrait la trouver dans le livre dans lequel j’ai pris le circuit.

Adrien Filiatreault : Le clock qui s’occupe de tout le monde, c’est quatre relais qui tournent en rond. On prend nos indicateurs – nos pulses – ça tourne sans arrêt. On prend notre séquence là, c’est divisé par quatre.

Roland Galarneau : On pourrait trouver ça dans le livre; je sais où je l’ai pris. Mais, en réalité, si vous regardez comme il faut, c’est simple. Vous avez un relais qui bat dans un sens. En réalité, on s’arrange pour mettre le courant sur la bobine; quand le relais met le courant, il se trouve à se recouper lui-même, donc, il revient. Si vous mettez un condensateur, vous pouvez avoir la vitesse que vous voulez. En fait, c’est très simple. Évidemment, nous, quand on le fait, on trouve ça simple. Mais, au début, on ne trouve pas ça simple, parce qu’il faut le trouver.

Adrien Filiatreault : Le cœur est fait comme un compteur. Il y a quatre relais qui battent et qui font le tour sans arrêt. C’est comme ça qu’on peut diviser notre temps.

Intervieweur : Je pense qu’on va garder les questions très détaillées lorsqu’on examinera les objets qui sont là-bas… J’ai deux dernières questions. D’abord, qu’est devenu le système? Est-ce qu’il était utilisé par des gens?

Adrien Filiatreault : C’est le service Converto-Braille qui convertissait les textes.

Intervieweur : Êtes-vous la seule compagnie au Canada qui fait ça? Quelle autre compagnie le fait?

Roland Galarneau : À Montréal, il y a Louis-Braille qui fait du braille avec des ordinateurs ordinaires, pas un ordinateur comme le nôtre.

Intervieweur : Oui, mais, en 1972…

Roland Galarneau : Au Canada, dans le temps, tout était transcrit à la main. Toronto en a eu pas mal plus tard. En fait, j’ai bâti la machine pour produire des livres de la bibliothèque de Nazareth. C’était l’idée en 1966. Je voulais donner des livres aux aveugles pour qu’ils puissent lire. Comme ça m’a pris jusqu’en 1976 pour le finir… La corporation Services Converto-Braille Cypihot-Galarneau, fondée en 1966, a donné des textes aux étudiants de 1976 à 1979. On a eu un contrat avec le Ministère de l’Éducation seulement en 1978; c’est le premier contrat qu’on a eu. Avant ça, on a eu quelques contrats avec le gouvernement fédéral pour faire des dépliants…

Intervieweur : Pouvez-vous me donner une idée de combien de livres étaient imprimés avec ce système? Est-ce qu’il était bien utilisé?

Roland Galarneau : Ce n’était pas toujours des livres. Au début, c’était des dépliants du gouvernement fédéral, par exemple; c’était surtout ça. Souvent, on transcrivait les notes de cours des étudiants. Maintenant, on est rendu à 1 300 ou 1 400 volumes, mais c’est beaucoup plus des notes de cours ou des textes. Ce sont des étudiants du niveau collégial et universitaire. Donc, ils commencent à vouloir qu’on transcrive des volumes. Mais, avant, c’était plutôt des notes de cours de professeurs qu’on faisait, parce qu’ils voulaient toujours avoir ça à la dernière minute. On a produit certains volumes avec la machine à relais, mais on a surtout produit des documents pour le gouvernement fédéral.

Intervieweur : La machine qu’on a ici a fonctionné pendant combien d’années?

Roland Galarneau : Elle a fonctionné pendant trois ans.

Adrien Filiatreault : C’est elle qui produisait le texte au complet.

Roland Galarneau : Elle a fonctionné de 1976 à 1979. En 1979, on a demandé à quelqu’un de mettre le circuit sur un microprocesseur. Ça a pris un an avant que le microprocesseur fonctionne. On a fait ça à plein régime pendant trois ans. On a produit toutes sortes de volumes.

Intervieweur : Je vous remercie infiniment.

An Interview with Roland Galarneau, c.1987